penser/rêver : collection d’essais dirigée par Michel Gribinski

La collection penser/rêver vise à cerner un champ de la connaissance aux frontières changeantes, entre l’individuel et le collectif. Elle s’engage dans le présent malaise de la civilisation, accueille l’intime et l’étranger. Elle réunit des essais brefs, directs où, à partir de leur pratique la plus personnelle, les auteurs exposent une thèse à la discussion sans craindre qu’elle s’évade ailleurs que dans les savoirs constitués.

Francesco Paolo Adorno
Faut-il se soucier du care ?

« Care » : sollicitude, soin, cœur rendent imparfaitement l’idée, analysée ici, d’une réflexion sur la place du souci pour autrui. Le care propose une anthropologie aux conséquences néfastes : dans le monde que dessinent les théoriciens du care, il y aurait d’une part des individus vulnérables et dépendants, en attente de care, de l’autre des individus qui se croient autonomes et autosuffisants. Les seconds – les caregivers – construisent cette fausse image d’eux-mêmes sur le travail des premiers – les caretakers – qu’ils exploitent souvent sans même s’en rendre compte.
La confusion entre social et politique, entre privé et public, entre morale rationnelle universelle et sentimentalisme particulier sont trois indices de cette dérive éthique et politique.

Christian Jouhaud
La folie Dartigaud

Dartigaud a-t-il existé ? Oui et non. Ce livre est le fruit de cette incertitude. Vie d’un historien – ombre inquiétante de l’auteur –, essai sur l’écriture de l’histoire, souvenir d’une puissance inexpliquée : la folie du personnage, engendrée par l’avidité d’un rapport déréglé au passé, produit une science historique sans recoins sombres ni portes dérobées.
Dans ce livre à surprises, on croise un meurtrier condamné à mort, un policier devenu tenancier de bistrot, quelques grandes figures des sciences sociales naissantes, un curé-poète du XVIIe siècle et aussi François Mauriac et Henri de Toulouse-Lautrec. Et même un psychanalyste sans nom et sans visage qui constate un jour que Dartigaud n’a plus d’ombre. Est-il donc guéri ?

Adam Phillips
Devenir Freud

Cet essai biographique sur Freud travaille avec l’hostilité de Freud à l’égard de la biographie. Il suggère que la psychanalyse est une science immigrante, une science en déplacement, et du déplacement : c’est une psychologie pour les gens qui ne peuvent pas s’installer, et qui éprouvent leur culture comme étrangère.

Devenir Freud met en place un tableau neuf des premiers écrits importants, fruits d’un mélange de pragmatisme et d’une pensée visionnaire, et qui n’ont pas tant été le fait d’un « génie solitaire » que d’un homme marié, père de six enfants. Il invite à imaginer une histoire de la psychanalyse dont l’extraordinaire héritage n’appartiendrait ni à ses disciples ni à ses détracteurs, mais, pleinement, à ses lecteurs.

Jean-Michel Rey
Histoires d’escrocs
tome 3
L’escroquerie de l’homme par l’homme ou The Confidence-Man

Chacun des trois volumes d’Histoires d’escrocs est lisible séparément : en s’appuyant sur trois romans populaires prémonitoires du XIXe siècle, l’auteur fait chaque fois l’histoire des « affaires » actuelles – crédit, « valeurs », fraude – et expose leurs ressorts, comme un détective minutieux.
 
Après La vengeance par le crédit ou Monte-Cristo – l’histoire de la ruine du banquier Danglars par le comte de Monte-Cristo, qui obtient de lui un « crédit illimité » en le saoulant de rhétorique ; après La banqueroute en famille ou les Buddenbrook, quand Thomas Mann décrit la chute d’une famille et de ses valeurs, les financières comme les morales – la violence du capitalisme prendrait-elle naissance en famille ? –, le troisième tome s’appuie sur Melville et L’Escroc à la confiance où c’est le principe de la mascarade qui est le véritable héros.
 
C’est une théorie de la fraude, consciente et inconsciente – et de la mascarade qui camoufle sans doute tout escroc à ses propres yeux –, qu’élabore Jean-Michel Rey dans ce dernier tome d’une inquiétante histoire de l’escroquerie.

Jean-Michel Rey
Histoires d’escrocs
tome 2
La banqueroute en famille ou Les Buddenbrook

À la suite du premier tome d’Histoires d’escrocs (La vengeance par le crédit ou Monte-Cristo) et avant le troisième (sur L’Escroc à la confiance de Melville), Jean-Michel Rey explore le deuxième roman prémonitoire de l’économie politique actuelle et de sa psychologie.
Dans Les Buddenbrook (1901) de Thomas Mann – saga d'une famille allemande riche et de son déclin à partir de 1850 –, la fille, Tony Buddenbrook, épouse Benix Grünlich qu'elle n'aime pas, mais que sa famille trouve « bien sous tous rapports ». Il s'agit en fait d'un escroc qui saura tirer parti du nom et de la réputation de sa belle-famille, et signera la faillite des valeurs financières et morales des Buddenbrook.
Entre les petites affaires de famille – minuscules secrets et arrangements entre proches – et certains des mécanismes du capitalisme, les analogies sont frappantes – et à la suite de Thomas Mann, Jean-Michel Rey se fait le psychanalyste de la libido financière bourgeoise.

Laurence Kahn
Le psychanalyste apathique et le patient postmoderne

– Un psychanalyste apathique, c’est un psy qui somnole ?
– Non, c’est quelqu’un qui ne se laisse pas prendre par le pathos.
– Il est indifférent – ce n’est pas mieux.
– Non : il est engagé ! Mais il ne se laisse pas faire par les bons sentiments.
– Tiens, certains se laissent faire ? Qui ?
– Les psychanalystes empathiques. Que ne sont pas les apathiques.
– Je vois. C’est mal, d’être empathique.
– Quand cela permet d’en finir avec la scientificité. L’inconvenance et le mordant de la découverte freudienne sont menacés par une conception anglosaxonne molle du postmoderne.
– C’est grave d’être un patient postmoderne ?
– Cela veut dire que l’on a un psychanalyste postmoderne. Il s’occupera de votre identité ; il s’occupera des traumas de votre « environnement précoce » (langue de bois pour parler de l’enfance) ; il s’occupera de votre unité. Mais que fera-t-il du scandale psychique qui vous fait vivre, et va du sexuel à la création ?

Jacques Le Dem
Souvenirs d’un autre

L’auteur, ancien médecin militaire devenu psychanalyste, revisite des souvenirs, précis et énigmatiques, mène une enquête à la fois dans sa mémoire et sur les lieux qu’elle croit identifier. Ce camp, à Audierne, cette cave sinistre, à Lyon, cet officier du renseignement devenu fou dans une oasis de l’Algérie en guerre, sont-ce ses propres souvenirs ou ceux d’une époque révolue ? Doit-il leur faire une place dans son histoire, les reléguer dans le passé d’un autre ? Commencée discrètement, la réflexion s’incarne dans le vif de la narration quand le souvenir personnel rencontre les traces de l’Histoire, de son oubli collectif – et de la vérité trahie.

Max Dorra
Lutte des rêves et interprétation des classes

Des associations (une lutte des rêves) enroulées autour de concepts (des classes logiques) donnent à ce livre son titre et son fil conducteur. Max Dorra analyse la méthode de la libre association, la plus géniale de toutes les inventions freudiennes, et la conjugue à la démarche du clinicien de l’imaginaire qu’est Spinoza.
 
Aussi libre que la méthode dont il traite, cet essai vise à faire de nous de véritables Houdini, à nous permettre de nous échapper des faux huis-clos auxquels certains mots, certains regards aussi, nous avaient condamnés.

Michel Gribinski
Qu’est-ce qu’une place ?

Qu’est-ce qu’une place ? est une tentative d’illustrer et d’ouvrir la question que l’on se pose, plus particulièrement aujourd’hui, quand on vient demander l’aide du psychanalyste, mais aussi dans d’autres situations de la vie : l’impression de ne pas vraiment avoir sa place, de n’être « à sa place » nulle part, le sentiment d’être toujours plus ou moins à côté de soi, déplacé. La vie que l’on s’est construite peut être réussie – mais on n’y est pas : le désir est ailleurs. Où ? À quel endroit que l’on ne voit pas, à quelle place qu’il serait peut-être simple de prendre ? Mais qu’est-ce qu’une place ?

Pierre Bergounioux
Le style comme expérience

Pierre Bergounioux traite ici de l’expérience vécue du style, de la « satisfaction ambiguë qui colore pareille expérience ». Si la distribution inégale des ressources sémantiques suit celle des ressources économiques, une approche historique du style s’impose. L’écriture peut-elle s’abstraire de son vice originel, à savoir son émergence comme signe des premières sociétés inégalitaires ? Comment la littérature s’est-elle mise à considérer le monde comme « ce que nous vivons quand on y est impliqué corps et âme, maintenant » ?

Jean-Michel Rey
Histoires d’escrocs
tome 1
La vengeance par le crédit ou Monte-Cristo

Cet essai est le premier d’une trilogie qui paraîtra sous le titre général d’Histoires d’escrocs. Chaque tome sera centré sur un roman : Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas, Les Buddenbrook de Thomas Mann, et enfin L’Escroc à la confiance de Herman Melville.
 
Dans ce premier tome, Jean-Michel Rey s’appuie sur les rapports entre le banquier Danglars et le comte dans le roman le plus connu d’Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo. Il s’agit, pour l’essentiel, de la vengeance du comte, entreprise très soigneusement menée contre le banquier , qui le ruine et détruit sa famille. En le montrant brillant économiste et redoutable rhéteur, Dumas fait du comte le héraut du capitalisme ascendant, et dévoile les rouages du crédit moderne. Jean-Michel Rey éclaire Le Comte de Monte-Cristo d’une lumière actuelle et dérangeante.

Adam Phillips
La meilleure
des vies

La Meilleure des vies – éloge de la vie non vécue est un livre sur les expériences que nous n’avons jamais eues et dont nous sommes en deuil. Chaque chapitre décrit une expérience de la vie ordinaire où nous ne sommes pas capables de vivre comme nous le désirons. Et, du fait que quelque chose ne se produit pas, se creuse l’espace de quelque chose d’autre : la frustration et l’imagination sont vues ici comme entretissées. Avec l’aide de la psychanalyse et du grand théâtre shakespearien, ce livre fait l’éloge de ce qui a manqué à notre désir.

Jean Imbeault
Remake

Remake est le livre d’un psychanalyste qui a beaucoup aimé – et qui aime encore – voir des films. Son ambition n'est pas d’en proposer une interprétation psychanalytique. Au contraire, il a constaté que le cinéma jetait sur certaines difficultés concrètes de l’analyse une lumière différente, un éclairage plus net.
Onze films sont ici repris – Remake veut dire reprise –, résumés, décomposés et recomposés avec l'idée de mettre au jour la concordance entre le cinéma et la psychanalyse.
La progression n'est pas celle d'une dissertation, mais d'un journal. Autant de dates, autant de séances : comme dans une cure, des histoires qui d'abord semblent se tenir, puis deviennent bientôt obscures ; des fragments qui se détachent tout seuls de ces histoires ; des hypothèses, des conjectures, des constructions qui s'éteignent peu à peu dans le silence ; quelques éclairs ; des répétitions insistantes…

Le livre s'emploie à refaire – réfection, autre sens de Remake – des bouts de la théorie freudienne et de sa pratique. C'est le livre d'un amoureux de l’analyse, qui, jour après jour, cède au cinéma de la vie.

J.-B. Pontalis
Le laboratoire central

Le Laboratoire central – ce titre est un hommage à Max Jacob – réunit neuf entretiens et exposés (entre 1970 et 2012), introuvables ou inédits, sur la psychanalyse, ses rapports avec la littérature et, en arrière-fond, avec les multiples pouvoirs (ou pseudo-pouvoirs) qu’elle exerce et qui sont toujours prêts à la dénaturer.
Au-delà de ses objets explicites, le « laboratoire central », c’est l’entretien que le psychanalyste a avec ses patients, avec ses collègues et avec lui-même, quand il applique, souvent à son insu, le conseil sartrien de penser contre soi.
Au cours d’échanges aussi vigoureux que généreux, J.-B. Pontalis met cent fois sur le métier l’ouvrage d’une réflexion qui a traversé le dernier demi-siècle, et n’a cessé de compter bien au-delà du cercle des psychanalystes. Une pensée qui n’existe pas sans l’œuvre en silence de la langue, sans la mélancolie du langage, sans son charme, et donne au lecteur la possibilité d’un entretien secret avec lui-même.

J.-B. Pontalis a été récompensé pour l’ensemble de ses travaux en psychanalyse, par le Mary S. Sigourney Award, en 2001, et a reçu le Grand prix de littérature de l’Académie Française en 2011 pour l’ensemble de son œuvre.

Dominique Scarfone
Quartiers aux rues sans nom

La démarche psychanalytique conduit un jour ou l’autre ceux qui s’y engagent dans des contrées psychiques mal cartographiées, aux repères flous, voire inexistants. Il s’agit d’aller à la rencontre de ce qui hante ces « quartiers aux rues sans nom » où l’on se perd sans l’avoir fait exprès. Alors, dans des lieux mal éclairés, peut se produire ce que l’analyse a d’inouï. Et dans le silence en effet sans nom d’une aphasie très ancienne, une parole permet au sujet d’en découdre avec son enfance, ou plutôt avec l’infantile et avec ce que le temps du calendrier n’avait pas réussi à faire passer.

François Richard
L’actuel malaise dans la culture

La modernité s’approche d’un état de confusion généralisée, avec des théories critiques que l’on distingue mal des discours que la société tient sur elle-même, sur sa propre agitation stérile, son propre mouvement paralysant. Théories, « discours » aux rouages plus pulsionnels que narratifs, et une historicité nouvelle et incertaine entrent, avec la clinique des souffrances psychiques paradoxales, dans la définition du malaise actuel. Le malaise d’une culture au centre de laquelle pourrait bien se trouver un lieu vide du pouvoir, particulièrement inquiétant. 

Le malaise actuel est ainsi en attente d’une pensée, à laquelle s'opposent curieusement des « nouveautés » : réformes,  technologies, « cultures populaires », storytellings d’une saison. Leur succession ne vise-t-elle pas à interdire de penser la crise contemporaine de la modernité ?

Daniel Oppenheim
L'enfant très malade
approché dans ses dessins

Daniel Oppenheim a suivi, à Villejuif, durant vingt-cinq ans, des enfants cancéreux. Ces enfants très malades, un psychanalyste peut-il les aider ? On les voit ici en présence, enfant et thérapeute, avec leur retenue et leur détermination, et sous l'éclairage que les dessins et leur réception jettent sur l'énigme de ce qu'ils échangent avec une si grande loyauté.

Jean-Michel Rey
L’oubli dans les temps troublés

En 1972, le président Georges Pompidou gracie le collaborateur criminel Paul Touvier. Il dit à cette occasion : « Le moment n'est-il pas venu d'oublier ces temps où les Français ne s'aimaient pas ? » Le pays devrait effacer une période remarquable et complexe de son histoire, Occupation et Résistance incluses.
 
Jean-Michel Rey analyse les paradoxes de l’amnésie volontaire décrétée. Il en fait l’historique, de la révocation de l'édit de Nantes déclarant « nulles et non avenues » les lois en vigueur, ou de Louis XVIII revenant au pouvoir avec pour mot d'ordre « union et oubli », au ministre de la guerre ordonnant à l'armée d'oublier ce qui vient de se passer – l'affaire Dreyfus –, et à la guerre d’Algérie.
 
Le souverain des temps troublés croit chasser le trouble en décrétant l'oubli. Or, en voulant retrancher une part de l'histoire nationale pour restaurer l'unité perdue, il donne à voir le ressort stupéfiant de ce qu’il veut que l’on occulte.
 
Avec les penseurs de l’oubli – que sont notamment Michelet et Péguy, Freud et Faulkner –, Jean-Michel Rey dérange la visée, individuelle et collective, de l’interdit du souvenir.

Adam Phillips
PROMESSES
de la littérature et de la psychanalyse

« Quelque chose ne cesse de se manifester dans la pratique et la théorie de la psychanalyse. Il s’agit de l’opposition entre le Rêveur et le Pragmatique. Le Rêveur ne veut que suivre ses mots là où ils iront. Le Pragmatique veut résoudre ses problèmes. Il veut aller vers l’accomplissement des choses, tandis que le Rêveur veut les éprouver. Le Rêveur entend que l’analyste l’aide à retourner à son propre délire, l’autre attend de l’analyste qu’il l’aide à faire de l’ordre. Le Pragmatique veut savoir quoi faire, le Rêveur veut voir ce qui arrive.
 
L’écrit analytique devrait être le lieu – qu’en vérité la littérature a toujours été – où les gens peuvent formuler les deux sortes d’enthousiasmes avec la même vigueur, où le Pragmatique et le Rêveur ne peuvent devenir le refuge l’un de l’autre. Où, par exemple, il peut être admis qu’il n’y a pas à dire ou à écrire quelque chose parce qu’on y croit, mais pour voir si on y croit. Au mieux, les deux disciplines peuvent inspirer aux rêveurs et aux pragmatiques complexes que nous sommes des vies au plaisir plus juste, à la morale plus intrigante. »

Jeanne Favret-Saada
Jeux d’ombres sur la scène de l’ONU
Droits humains et laïcité

Une anthropologue enquête sur un épisode jusqu’ici ignoré de l’histoire de l’ONU, un virage qui s’effectue de 1998 à 2001. Une majorité d’États refusant désormais de reconnaître l’universalité des Droits de l’homme, l’organisation internationale se rabat sur leur justification implicite par les religions. L’« Alliance des civilisations » qui est proposée à l’époque pour enrayer ce qu’on a appelé le « clash des civilisations » se transforme en une « paix des religions ». On assiste ainsi à une déraison du langage où « civilisation » signifie d’emblée « religion », où « religion » connote « suprêmement honorable, et où « critique de la religion » s’appelle « racisme », « intolérance », « haine » ou « islamophobie : la languie ressuscitée du 1984 d’Orwell creuse l’ornière d’une prétendue « tolérance » nouvelle.
 
Ces pages rigoureuses montrent ce que L’Avenir d’une illusion – l’essai de Freud sur les idées religieuses – est devenu, en décrivant les effets actuels de l’« illusion » sur une organisation dont la raison laïque fut, à l’origine, le principe même.

François Gantheret
La nostalgie du présent
Psychanalyse et écriture

Écrire, analyser : quoi de commun à ces deux activités ? Lorsque c'est le même qui se livre à l’une et à l’autre, quelles ruptures en lui, entre fauteuil et table d’écriture, et quelles continuités ?
 
Psychanalyste et écrivain, l’auteur explore ici, dans une véritable autobiographie de la création, l’énigme qui leur est commune : comment les mots, qui ne sont que des signes, peuvent-ils mettre en présence de ce qu’ils désignent ?
 
Écume de la vie des hommes, simulacres du monde, les mots portent en eux, affirme François Gantheret, la nostalgie du présent.

Michel Gribinski
Les scènes indésirables

Quelque chose arrive dont on ne voulait pas, et s’impose. On s’était construit pour que cela n’ait pas lieu, mais l’indésirable a été le plus fort, fabriqué par le désir même, comme un destin. Le désir n’est pas raisonnable, c’est ainsi et, en quelque sorte, c’est tant mieux.
Mais s’il y avait une catégorie rationnelle où la scène indésirable était absolument étrangère à tout désir ? C’est bien – semble-t-il – sur une telle catégorie que s’est constituée la fondation Lebensborn.
 
Généralement méconnue, cette entreprise eugénique nazie s’est livrée à l’élevage de dizaines de milliers de nourrissons séparés de leur mère et a donné lieu sans haine particulière à l’enlèvement et à la désindividuation de centaines de milliers d’enfants (chrétiens) des pays occupés ainsi qu’à leur meurtre de masse quand ils étaient déclarés non « germanisables ».
Quelle vie psychique a accueilli l’« amour rationnel », sans désir, l’amour de cauchemar qui a prévalu ? Quelle vie psychique trouve-t-on au-delà du principe de la haine ?

Adam Phillips
Trois capacités négatives

Capacité négative : l’expression vient de Keats. C’est la « qualité qui contribue à former un homme accompli lorsqu’il est capable d’être dans l’incertitude, les mystères, les doutes sans courir avec irritation après le fait et la raison ».
 
Être un embarras, être perdu, être impuissant – trois capacités négatives, éprouvées dans l’enfance, récusées plus tard de telle sorte que, contrairement à l’enfant, on ne vivra pas pour de bon, on fera semblant. Le plus singulier des essayistes britanniques actuels les fait revivre et montre à quel point elles fondent notre singularité.

Jeanne Favret-Saada
Désorceler

« Dès la première entrevue, Madame Flora voulut que je nomme les ennemis que j’avais pu me faire. Or j’avais beau ne pas croire qu’un sorcier ait pu poser des charmes susceptibles de me rendre malade, j’avais beau ne pas croire que nommer soit tuer, je fus dans une totale impossibilité de lui livrer aucun nom. Chaque fois qu’elle me pressa de le faire, en frappant la table de ses cannes, j’eus l’esprit aussi vide qu’un analysant sommé de faire des associations libres […] »
L’anthropologue, qui deviendrait aussi psychanalyste, rapporte ici la suite de ses travaux sur la sorcellerie dans le Bocage de l’Ouest français. Elle s’est laissée impliquer dans les processus qu’elle étudiait. Certains ont vu en elle une désorceleuse, d’autres une ensorcelée — en même temps qu'elle instituait l'anthropologie « symétrique », dont elle fut une pionnière, qui met sur le même pied les deux partenaires de l'interlocution ethnographique. Le présent livre est donc un retour sur les matériaux relatifs au désorcèlement, et pose la question de savoir comment le fait d’« être affecté(e) » permet de construire un discours rigoureux, ici sur la sorcellerie.

Jean-Michel Rey
Paul ou les ambiguïtés

On sait peu qu’à l’exception de Nietzsche, de Renan et de Michelet, les grands penseurs du progrès social du XIXe siècle trouvent dans les textes de saint Paul l’étayage d’une refondation sociale, d’une réforme politique d’ensemble. Pour Auguste Comte par exemple, ou pour Victor Hugo, il est nécessaire et parfois urgent d’aller chercher chez Paul les principes élémentaires d’une transformation de la société.
On ne sait guère qu’ils ont ainsi pris appui sur une démarche de pensée qui consistait à nier et à modifier le passé pour rendre légitime le présent souhaité. Cet essai montre en effet de quelle manière Paul réinterprète le passé pour en faire la préfiguration de ce qu'il est en train d'annoncer dans ses Épîtres. En s’inspirant de Paul, le XIXe siècle a contribué, à son insu, à une culture du déni qui continue à régner sur les représentations politiques occidentales du monde actuel.

Michel Neyraut
Alter ego

En parcourant d’un œil neuf les théories de Freud, de Lacan, de Melanie Klein, de Winnicott, et de …Panurge, Michel Neyraut dresse, dans cette étude sur l’identification, une cartographie aussi sérieuse que drôle et documentée de la science des solutions imaginaires, qui répond à une question d’actualité : celle de savoir comment être unique alors qu’on cherche à être comme tout le monde.
Aux « ready made » dont Kalachnikov, l’inventeur de la célèbre mitraillette, est un des héros inattendus, l’auteur oppose la valeur de l’errance, c’est-à-dire des hasards de l’identification. Il poursuit la théorisation de nos identifications bigarrées, carnavalesques, en proposant que le concept d’« identème » y mette un peu d’ordre.
Bref, Alter discute ici avec Ego pour le très grand plaisir d’une théorie qui n’est faite que de nous.

Adam Phillips
Winnicott ou le choix de la solitude

Cette biographie, due à son meilleur connaisseur, met la pensée de Winnicott en tension, voire en crise : il s’agit d’une biographie critique. D’où, peut-être, le fait qu’on ait dû attendre vingt ans pour qu’elle paraisse en français. Dans les années 1980, en effet, le médecin parfois un peu trop positif du couple mère-enfant, que l’on se contentait souvent en France de voir comme un théoricien délicat et original, semblait installé à l’écart des conflits – ceux de la sexualité, ceux du pouvoir, et ceux, s’ils en diffèrent, de la psychanalyse. Il a fallu du temps pour déchanter. La « capacité d’être seul » – titre d’un de ses articles célèbres paru en 1958 – deviendra une vision hautement conflictuelle et quasi négative de l’homme quand, en 1963, Winnicott écrira : « Chaque individu est un isolat, en état permanent de non-communication, inconnu en permanence, en fait jamais découvert. »

Paul-Laurent Assoun
Le démon de midi

Qu’un homme entre deux âges s’éprenne d’une jeune femme au point de changer, d’un moment à l’autre, le cap de sa vie : telle est la « passion de mi-vie » que l’on désigne par l’expression de « démon de midi », apparue dans le texte biblique.
De quelle vérité inconsciente le « démon » est-il porteur ? Que signifie « midi » aux horloges du désir, du temps et de la mort, pour le masculin et jusqu’en son envers féminin ? Le psychanalyste Paul-Laurent Assoun, avec son érudition passionnée et son souci de la précision conceptuelle, propose dans cet essai une étude du midi de la vie, thème jamais exploré en tant que tel, à travers le foisonnement textuel que suscite l’événement venant porter le bouleversement au cœur de l’existence.
La clinique est celle du cabinet de l’analyste, mais elle est prise également au dehors, dans l’anthropologie, la mythologie et la littérature : le démon recèle un ressort narratif et romanesque. Ainsi se dégage un portrait métapsychologique de ce démon saisi en son réel inconscient.

Nathalie Zaltzman
L’esprit du mal

Quand une civilisation se décompose, il est fâcheusement approximatif de se contenter d’énoncer qu’elle retourne à la barbarie. Elle fait autre chose. Elle instaure une organisation sociale nouvelle, un peu à la manière des enfants livrés à eux-mêmes dans le roman de Golding, Sa Majesté des Mouches. La régression ne désigne pas seulement un retour en arrière, un stade antérieur de l’évolution. Chez le sujet, ce qu’elle produit, c’est toute l’histoire d’une maladie. Qu’en est-il de la régression collective ?
 
La civilisation s’est construite grâce au refoulement des pulsions sexuelles et meurtrières. Dans des situations de régressions culturelles – dans ce que le siècle passé, et toujours présent, est convenu d’appeler « retour à la barbarie » –, on admettait que le refoulement civilisateur ayant échoué, le pulsionnel tendait à régner sans contrôle, l’homme était revenu à l’état animal. Mais n’a-t-on pas assisté, en deçà, à une régression d’une autre nature, un état de confusion entre le sujet et la masse ? Cette confusion – que le psychanalyste appellera « narcissique » – ne débouche pas sur une préhistoire de l’humanité, terrifiante mais pleine de vie, mais bien sur une post-histoire, un état nouveau de la civilisation où, en se résorbant dans la masse, c’est la mort et ses idoles que l’homme révère et célèbre. Cette révérence, cette célébration, c’est le mal absolu.
 
Sans concession à la facilité, la psychanalyste Nathalie Zaltzman donne ici une étude intense, aussi personnelle qu’elle est documentée, du « travail de culture » et de ses obscurités. Dans un essai où les questions sont de véritables outils de pensée – deux chapitres sont intitulés « Perplexités » –, elle fait voir de façon radicalement différente ce qu’on appelle « crime contre l’humanité ».

Christian David
Le mélancolique sans mélancolie

Au jour le plus beau / il manque quelque chose : / son côté obscur. / La nuit nécessaire, on ne l’atteint pas / par la seule omission. Ces vers de Roberto Juarroz pourraient être le guide du présent essai où le psychanalyste Christian David, après un long silence (on se souvient du succès de L’État amoureux (1971), plusieurs fois réédité, et de La Bisexualité psychique paru en 1992), nous convie à l’accompagner dans une promenade où l’intelligence lumineuse et chaleureuse le dispute à l’humeur en demi-teinte, la mélancolie humaniste.
 
Au bout d’une méditation fragmentée sur la perte – moteur de la pensée comme de la vie quotidienne –, le « silence retrouvé » – mais a-t-il jamais été perdu ? – fait entendre quelques « conseils » au praticien de l’analyse non moins qu’au praticien du métier de vivre : « boire frais », c’est-à-dire ne pas se laisser entraver par des automatismes acquis ; s’abandonner, un peu, à la musique intérieure ; ne pas s’en tenir à la seule vertu du langage mais, sans pour autant s’en déprendre, accueillir les médiations non verbales, leur pénombre crépusculaire ; se situer aux confins, pour sortir du mortifère ; recourir avec patience, avec insistance, à l’« interrogation frontalière ».
 
En cours de route, le lecteur aura, lui aussi, fait l’expérience de la limite du conscient et de l’inconscient, du sens et du non-sens, du nocturne et du diurne, du formel et de l’informe. Il aura su que le « mouvement de la nuit ne cesse pas avec le jour. » Il se sera reconnu dans le « plus commun des amoureux », homme éveillé encore habité par ses rêves de la nuit et préparant sans le savoir ceux de la prochaine. Dernier « conseil » : rêver son amour les yeux ouverts.

Henri Normand
Les amours d’une mère

À travers les figures de trois mères – la Dolorosa, conçue par Iacopone da Todi, la Gloriosa, élaborée au long des siècles par le catholicisme, l’Amoureuse, imaginée par Stefan Zweig –, le psychanalyste Henri Normand accompagne nos récits des représentations de la mère – celle, bien réelle, de chacun, comme celle, tutélaire, de l’imaginaire collectif. Parmi les enfants que nous sommes tous, qui tolérerait le dérangement absolu que représente une mère unifiée, à la fois sexuelle, douloureuse et glorieuse ? Serions-nous parvenus à fragmenter en trois personnes une idée inadmissible ?

Theodor W. Adorno
La psychanalyse révisée
suivi de
Jacques Le Rider
L'allié incommode

En 1946, dans une conférence faite à la société psychanalytique de San Francisco, traduite ici pour la première fois, l’un des derniers représentants des Lumières défend la grandeur de Freud. Theodor W. Adorno, que l’on tenait pour plutôt acerbe à l’égard de la psychanalyse, prend position en faveur d’une radikale Psychoanalyse contre ceux qu’il nomme les « révisionnistes néo-freudiens » dont la pensée « frappée au coin de l’anodin » et les formulations du niveau d’un « courrier des lecteurs » ne sont pas tolérables à qui essaie de comprendre les rapports entre la société et l’individu après Auschwitz. Les ennemis de Freud « pactisent avec le bon sens », « confirment les préjugés sociaux », ne se « distinguent plus guère de l’indignation bien-pensante » : ils sont « universellement acceptables ».

Pierre Bergounioux
Où est le passé
Entretien avec Michel Gribinski

Dans un entretien où le désaccord s’expose en toute confiance, Pierre Bergounioux évoque les lieux du passé : ceux, passionnés, de son enfance tandis que les adultes dormaient les yeux ouverts, ceux de l’Histoire qui nous a faits – et défaits. Pour rallier le seul temps réel, le présent, il a fallu clarifier le passé, situer hors de soi ce qui se confondait avec nous, qu’on prenait pour soi. La clarification est de chaque instant. Elle va droit.